Rédacteur : Daniel GURY
En cette fin de semaine, la société Honoré organise une porte ouverte de l’usine pour célébrer les 150 ans de la chaudronnerie Parisse mais cette fois encore la date servant de référence prête à confusion. Enfin, c’est devenu une sorte de tradition au Val-d’Ajol, les dates sont assez volontiers galvaudées. Rares sont en effet les archives industrielles qui ont été conservées. A priori, celle des de Buyer ont été jetées à la benne lorsqu’il a fallu réaménager les bureaux, celles des Parisse restées à Larrière auraient été vendues à un opportuniste qui m’avait cependant contacté en 2017 pour me les proposer moyennant finances, enfin nous avons sauvé de la benne il y une vingtaine d’années celles des usines Quéval et Baumann de Remiremont et du Val-d’Ajol.
Ainsi sur les murs de l’usine de Buyer comme sur ses véhicules on peut lire « depuis 1830 » mais naturellement c’est faux et les patrons ne peuvent l’ignorer vu qu’ils ont eu entre leurs mains l’ouvrage que j’ai édité il y a quelques années sur l’histoire de cette usine. L’ouvrage qui ne coûte que quelques euros est toujours disponible sur un simple coup de téléphone.
En 1987, les ouvriers de Buyer avaient fêté les 100 ans de leur usine. Les patrons, c’est-à-dire Hervé et Arnaud de Buyer étaient donc persuadés que leurs ancêtres de la Chaudeau avaient investi à Faymont dès 1887. Et c’est la pure vérité. Mais quelques années plus tard, le PDG Hervé pousse le bouchon un peu plus loin. Il aurait appris que la forge de Faymont aurait été créée en 1830. En fait, il avait demandé à son ancien comptable Aimé Flot de faire des recherches. Hélas, le défunt Aimé qui était un de mes bons amis avait commis une erreur de gamin en lisant un vieil acte notarié au papier jauni. Il avait bien lu en toutes lettres, à la fin d’une ligne, « mille huit cent trente », sauf que la date se terminait à la ligne suivante avec « huit ».
Enfin le 28/12/2002, le PDG Hervé fête ses 70 ans en présence de ses ouvriers. J’avais été invité comme représentant de l’Est Républicain. C’est encore Aimé Flot qui est au micro et un journaliste de rapporter une partie de son intervention : « c’est en 1830 que tout commence. Plusieurs artisans Ajolais se sont unis pour fonder un petit atelier d’articles de ménage sur le site de Faymont… ».
Enfin le 26 janvier 2017, je rends visite à Aimé Flot qui est alors âgé de 92 ans pour mettre au point cette histoire de date qui devient agaçante. Aimé Flot après avoir longuement étudié les actes notariés que je lui demande de relire admettra sans la moindre difficulté qu’il s’est trompé et que le vieux moulin qui avait appartenu à mes ancêtres en 1685 avait bien été vendu à un groupe de courageux investisseurs pour en faire une forge en 1838 seulement et que Parisse deviendra le principal actionnaire de cette forge de Faymont vers 1865 lorsqu’il rachètera aux héritiers Fleurot d’Hérival les actions qui sont mises en vente.
Ainsi se trouvaient résolus simultanément deux litiges sur les dates : 1838 pour de Buyer ; 1865 pour Parisse. Donc à ce jour Parisse existe au Val depuis 160 ans, c’est encore mieux que les 150 annoncés pour l’exploitation d’une chaudronnerie. D’autant plus qu’une telle activité suppose de pouvoir exécuter des soudures à moins que d’utiliser des rivets. Or, le réseau électrique est encore inexistant au Val en cette période.
Il y eut en fait au Val en cette période 1865 une petite ferblanterie avec une poignée d’ouvriers qui disposait tout de même de 10 ateliers séparés et faisait de l’étamage, la maison Germain. Elle avait aussi un atelier plus important à proximité de Melisey qui faisait du tournage. Hélas Germain qui avait commencé très jeune devait décéder subitement à moins de 35 ans et la société fut liquidée. Il était le neveu du patron du tissage de Méreille, celui-là même où se trouve le nouveau bâtiment de la chaudronnerie Parisse construit en 1965.
Enfin les Parisse après 1887 n’avaient pas complètement coupé les ponts entre Larrière et Faymont. Des passerelles existaient encore au début du siècle dernier comme en témoigne les reliques d’un copieux catalogue commun entre les deux industries avec des centaines de références allant de la petite souricière en bois au gros chaudron en acier galvanisé.
C’est un ancien dessinateur de l’usine Parisse qui vous l’affirme. Car je suis en effet ce dessinateur recruté par le PDG de l’époque monsieur Ferrand et par mon regretté ami décédé trop jeune, Jean-Claude Lambert, qui parfois trempait aussi le tire-ligne dans l’encre de chine pour dessiner sur le papier calque, étant un peu le polyvalent de l’équipe dirigeante, tantôt dessinateur, ou comptable, ou même VRP. En fait je m’étais proposé de dépanner car Parisse avaient sur les bras une importante commande venant de la SACM de Mulhouse, le grand spécialiste du textile qui faisait aussi travailler COMELOR. La commande sortait de l’ordinaire car Parisse se contentant le plus souvent de commandes de dépannage, c’est à dire à l’unité. Cette fois, il s’agissait de séries nécessitant d’établir des plans pièces par pièces pour chaque poste de travail. C’était tout un ensemble de « cuisines » à teinture devant s’intégrer dans une chaîne sur plusieurs étages pour de nouvelles usines textiles en cours d’installation en Ukraine, soit des mois et des mois de travail.
Or, un dessinateur se doit d’être d’une grande précision. Pourtant, lorsque j’ai travaillé au bureau de dessin situé sous les toits de l’ancien tissage de Méreille en 1967, la plupart des bureaux d’études ne disposaient pas encore de calculatrice. Tous les calculs, additions, soustractions ou multiplications devaient se faire à la main. Nous avions toutefois une vieille additionneuse avec des curseurs et une manivelle qui prenait beaucoup trop de temps et ne disposait pas de bande de contrôle. Je me rappelle aussi de Jacques Wirtz qui avait 15 ans de plus que moi, arrivé vers janvier 1968, au même bureau pour prendre ma succession. Il avait fait partie de la même promotion que Patrice Nosjean qui occupait alors la fonction de directeur technique, les deux étant sortis ingénieurs de l’école supérieure de tissage d’Épinal. Jacques proposait souvent de me faciliter le travail avec sa règle à calcul, ce qui n’était pas toujours très utile, heureusement. Et en matière de précision, c’est un lamentable oubli qui lui a malheureusement coûté sa place.
J’avais, en effet, à la fin de mon contrat travaillé sur un projet de malaxeur pour crème à raser et pommades pour un laboratoire de Besançon. Après mon départ, le marché n’étant pas encore conclu, Jacques a voulu perfectionner ce malaxeur en l’équipant d’un système de fermeture plus élaboré, par autoclave, un domaine qu’il connaissait à la perfection pour avoir travaillé dans une importante chaudronnerie, sauf qu’il avait oublié qu’il y avait au cahier des charges des cotes à ne pas dépasser car l’appareil devait impérativement rentrer dans un ascenseur. Et la hauteur n’avait pas été respectée.
Adage du jour : lorsqu’il s’agit de fêter un anniversaire, une erreur de date peut toujours se rattraper, mais en construction mécanique, la moindre erreur peut être fatale.














