Conte intime de la source et du Chello (chalot)

Éditeur, Armand DANGEVILLE

 Pendant longtemps, très longtemps, elle avait coulé à hauteur d’un sentier où les chèvres qui, au couchant, venaient s’abreuver avant de descendre à la ferme en sautillant entre les roches vers le vallon d’Hérival, à quelques pas du prieuré éponyme et avant de confier leur bon lait à la fermière.

 Et puis un jour, elle disparut, victime sans doute de mouvements de terrains, de failles naissantes qui l’avaient enfouie sous la roche où elle s’était perdue à tout jamais, pensait-on alors à la veillée, avec mille regrets.

Certaines mauvaises langues de la vallée répandaient même la rumeur que c’était une punition de Dieu à l’adresse des moines de l’abbaye dont les règles s’étaient considérablement relâchées en l’absence de l’abbé Wichard.

Au printemps de l’an 17, une sécheresse comme on n’en avait jamais vu s’installa durablement. La source de Germandre ne coulait plus. Dès le mois d’avril, les étangs d’Hérival étaient déjà à sec et carpes et brochets morts gisaient dans la vase rougeâtre et que corbeaux et pies se disputaient à coups d’ailes et de cris sonores que l’écho de la vallée amplifiait.

 Et puis la famine suivit.

 Dans les fermes du vallon, le pauvre Chello (chalot) avait déjà livré ses dernières victuailles.

Les alous étaient vides. Plus aucun jambon ne pendait sous la poutre maîtresse et sur les étagères ne restait qu’un voile poussiéreux où les araignées filaient leur plus belle toile. Le légendaire coffre-fort des fermiers avait été pillé jusqu’au dernier grain. Les paysans sacrifiaient poules et canards pour se nourrir. Les plus vieux moutons et les cochons suivirent le sort de la volaille. Les maigres légumes dans les jardins au pied du Chello (chalot) avaient séché depuis des jours et des jours.

 La peur s’installait dans les chaumières.

 Jacquet, le cadet de Eudebert le bûcheron se rendit un soir à l’abbaye pour y retrouver son ami le moine Engibalde et l’implorer par ses prières de faire venir la pluie. Engibalde, qui avait dès les premières années de Jacquet remarqué sa vivacité, son intelligence et sa bonté, le prit sous sa protection.

« Viens avec moi, dit-il, nous allons redonner vie à la vallée ». Sans avertir le prieur, Engibalde quitta discrètement l’église toute proche où se déroulait l’office du soir, et, accompagné de son petit ami, tous deux grimpèrent jusqu’à l’ancienne source de Germandre que les genêts avaient recouverte. 

 Les chants du monastère leur parvenaient encore jusqu’à la source pourtant fort éloignée. Engibalde le moine fit s’asseoir Jacquet sur un rocher et lui dit :

 « Ecoute moi bien Jacquet, tu es mon ami et je vais te confier un secret que je suis seul à connaître. Germandre n’est pas seulement la source que tu connais mais c’est aussi la fée de la vallée, mon amie que je rencontrais chaque nuit autrefois en secret, mon amie oui, mon amante peut-être. Nous nous baignions dans ses eaux généreuses jusqu’à l’heure de la première messe à l’aurore et elle me confiait ses secrets et ceux de la vallée. Nous allons l’implorer pour nous rendre ses eaux et la vie. »

Engibalde s’éloigna un peu et sortit de sa poche quelques herbes qui avaient poussé contre le dos du Chello (chalot) du prieuré et dont il détenait le secret, les glissa dans un anneau d’or que lui avait confié la fée et qu’il portait sur son cœur puis déposa son bouquet à l’endroit de la source en priant Germandre de rendre la vie au vallon par des gestes et incantations que Jacquet ne pouvait comprendre.

La source de Germandre réapparut au matin après une nuit d’orage dont on se souvint longtemps. Ses eaux bouillonnantes jaillissaient de la roche en formant un cône tel un volcan qui crache le feu et répand ses cendres alentour et certains paysans crurent même entendre une voix féminine sortir de terre et murmurer. Ses eaux tumultueuses rejoignaient dans le vallon les étangs du prieuré en folles cascades et elles les remplirent comme avant.

On prétendit même que la Pierre Nicole, gros bloc de granite abandonné là-haut par le glacier des temps anciens sur le plateau du Pré Carré, s’était déplacée de quelques mètres pour jeter un regard vers la vallée et assister au spectacle de cette renaissance.

Le lendemain soir, Engibalde et Jacquet se rendirent avec discrétion au Chello (chalot) monastique encore bien garni, lieu de rendez-vous fixé par le moine et, dans l’obscurité inquiétante, rencontrèrent la fée Germandre dans son habit blanc qui confia au gamin un autre secret.

« Entre dans la mine voisine au-dessus du monastère qu’ont abandonnée honteusement les mineurs et au fond, tout au fond, tu y trouveras les victuailles qui ont tant manqué dans vos maisons et Chellos (chalots). Demande à la chauve – souris gardienne des lieux de t’y conduire et garnis à nouveau tous ces petits Chellos désespérément vides.

SI tu gardes le secret de la source à tout jamais, je te ferai prieur de l’abbaye et tu feras connaître ce lieu à toutes les générations qui te suivront en l’agrandissant, en accueillant les pèlerins vers Rome dans un bâtiment digne de tes visiteurs que tu appelleras la Maison des Hôtes. Tu y planteras une croix à son entrée, la plus haute du vallon et tu feras creuser un nouvel étang avec un moulin pour vous nourrir. Va et garde ton amitié à Engibalde. »

Le jour suivant, pendant que les parents étaient aux champs, Jacquet se rendit à la mine avec son cheval Marot et, guidé par la chauve-souris dès l’entrée, il s’enfonça courageusement dans la galerie dans l’obscurité la plus totale où, tout au fond, il découvrit les victuailles promises par la fée blanche. Il redescendit dans la vallée et à sa grande surprise les grosses serrures des Chellots (chalots) grinçaient et les portes s’ouvraient miraculeusement accueillant à nouveau blé, orge, seigle, miches de pain, légumes frais, du miel, le jambon et le sel.

Dans les chaumières on accueillit l’enfant du pays comme le sauveur.

Engibalde, le moine ami, lui enseigna dès lors l’écriture et la lecture et quelques rudiments de mathématiques et de morale. Germandre veilla à alimenter la source que l’on peut admirer aujourd’hui encore dans son écrin de mousse, de genêts fleuris et de fougères géantes.

 Ami (e) randonneur (se), si ta balade te conduit au-dessus du prieuré dans l’admirable vallon d’Hérival, rends visite à la source généreuse et peut-être entendras-tu aussi le doux murmure de la bonne fée Germandre se confondre avec le clapotis de ses eaux.

Peut-être te confiera-t-elle un secret aussi ?. Celui de l’art de dresser tout en bois assemblé cet admirable petit chalet que nos braves paysans d’autrefois appelaient dans leur patois chello ou chalot et qui a traversé les siècles pour nous raconter ses belles histoires.