Éditeur Armand Dangeville.
23 avril 2021.
Les dernières gelées nocturnes ont rendu l’âme cette semaine et le ciel bleu s’est installé durablement apportant avec lui l’espoir de riches récoltes.
Freiné par la pandémie et un froid persistant dans son désir ardent de bêcher, semer, planter, Paul le jardinier s’est réveillé aux premières lueurs du jour après avoir très soigneusement trié la veille les graines de l’an passé.
Rempli d’enthousiasme et de projets, il s’apprête à rejoindre son Eden quand des bruits peu communs s’élèvent dans la cabane, là, au fond du jardin, où il range ses outils de jardinage. Armé de son sécateur, il s’approche, croyant au passage de Goupil ou de la fouine.
Que nenni. Il s’agit bel et bien d’une dispute à laquelle il prête l’oreille. Il pousse la porte et il est immédiatement pris à témoin.
« Maître, dit la Bêche droite dans ses bottes, admettez avec moi que la bonne récolte me revient. Je plonge dans le sol, le retourne, l’aère, remets en surface les terres fertiles et redonne de la couleur au jardin après le long hiver.
Terres fertiles !!!, lance le Terreau qui a tout entendu depuis le pourrissoir, c’est moi qui fertilise les sols depuis toujours, appuyé par un reste de Fumier de l’an passé qui repose là, dans un coin du jardin. En plus, tu m’enfouis profondément et m’empêche de respirer et de voir le soleil.
« Oui, tu es prétentieuse et méprisante, tu n’es qu’une bêcheuse, voilà !!! lance la Houe. Moi, je prends soin des habitants en grattant le sol et je ne découpe pas les vers de terre qui le nourrissent comme tu le fais !!!!. Les expériences récentes montrent bien qu’il ne faut pas retourner les terres comme tu le prétends, c’est aussi ça la permaculture. C’est l’avenir et toi, tu es le passé !!!! voilà.
« Tu as raison, glisse le Ver de Terre, Tout le monde reconnaît enfin maintenant mon rôle essentiel dans la production végétale. C’est moi qui assure le bon fonctionnement du sol. Aussi, pas de vert sans le Ver ?
« On est d’accord avec toi, le Ver. Mais qui porte le Fumier et le Terreau qui t’accueillent ? C ‘est nous, s’écrient la Pelle et la Fourche !!! Sans nous, pas d ‘engrais et pas de récolte généreuse. C’est nous qui supportons votre poids, ne l’oubliez pas.
—Ne vous fâchez pas, il y a sans doute d’autres raisons pour expliquer une bonne récolte, intervient Paul le jardinier, stupéfait par cette agitation inédite.
—Oui, vous avez raison, Maître, Qui donc vous transporte tous et vous permet de travailler ??? Répondez-moi !!!
C’est moi la Brouette, seule !!! Vous vous amusez beaucoup quand je prends les virages, hein. Sans moi, pas de déplacement donc pas de récolte, Na !!!
—Ha !!!, vous m’amusez beaucoup, soupire la Graine, parler de récolte sans jamais évoquer la semence qui génère la vie, c’est trop fort. La réalité, c’est que sans moi, pas de récolte, vous en conviendrez.
—Là, tu as raison, approuve Paul le jardinier, que serions nous tous sans la semence originelle ??? Mais pour que tu vives, il te faut un support. C’est la Terre !!!!
—AH, AH, AH !!!, lance une voix enjouée qui parvient du jardin. Je suis atterré. Enfin, on admet que c’est moi qui suis à l’origine de tout. Merci Maître, souffle de loin la Terre.
—Puis-je quand même préciser qu’une semence sur le sol ne produit rien et qu’il faut l’enfouir, avance timidement le Plantoir.
—C’est vrai aussi, cela, précise le jardinier, de plus en plus intégré à cette dispute.
—Vous êtes fiers de vous mais nous sommes fiers aussi de donner à votre jardin cette beauté que tous reconnaissent et que vous attendez et sans nous, pas de plaisir de jardiner, ajoutent la Binette et le Râteau.
—Cela ne t’empêche pas de prendre un râteau de temps en temps », glisse perfidement la Bêche sous les rires sarcastiques de l’assemblée des outils.
Paul le jardinier, avec un geste large de la main, calme tout le monde et reprend la parole.
-Avez-vous pensé une seconde à Dame la Pluie qui permet à vous, Semences, de germer, à vous, la Terre, de boire à plus soif.
Avez-vous pensé une seule seconde à celle qui gouverne la nuit, qui, le soir venu, à pleine Lune, veille sur votre jardin, éclaire votre ami le hérisson à la recherche de ses proies et conseille au matin le jardinier sur le temps des semailles ???
Et que dire de celui qui régente le monde, celui qui rayonne au-dessus de nos têtes, qui réchauffe la Terre, qui réchauffe nos cœurs quand navets et carottes, salades et haricots, betteraves rouges et persil percent le sol et lancent leur tête vers notre maître.
—Le Soleil !!!!, s’écrient tous en chœur dans un joyeux tintamarre.
—Et n’oubliez -vous pas quelqu’un qui peut avoir aussi un rôle à jouer dans nos récoltes ???. Avance notre jardinier avec un sourire complice.
Tous s’interrogent du regard pendant quelques instants lorsque le Ver se dresse fièrement et désigne Paul le jardinier sous les acclamations d’un public pressé de se remettre à l’ouvrage après de longs mois de sommeil.
— Au travail, au travail, !!!! lance le Maître des lieux en tapant dans les mains. Bêche et Pelle, Binette et Râteau se lancent dans la Brouette rejoints par le Plantoir et tous s’apprêtent à regagner le jardin qui les attend avec impatience.
— Attendez-moi », s’écrie la fourche qui dans la bousculade générale était encore allongée sur le sol, les jambes en l’air, dans la cabane de PAUL LE JARDINIER…













