La pratique du recensement

Les agents recenseurs sont parfois négligents.  Celui chargé de recenser la Croisette en 1911 oubliait souvent de mentionner le nom de naissance des mères de famille, oubli pénalisant pour les amateurs de généalogie. Mais d’autres erreurs sont plus graves car elles touchent au principe même du recensement, à savoir déterminer la population exacte d’une commune à un instant déterminé. Ainsi Noël Romary, le marchand de chaussures et cordonnier fort sympathique et bien connu des Ajolais d’un certain âge, qui était né en 1906, passera 2 fois dans le collimateur des agents recenseurs, une première fois chez un de ses oncles à la Croisette puis une seconde fois au domicile de ses parents aux Œuvres.  Pour qui a bien connu le personnage, rien de très étonnant, car il avait la réputation d’un bon vivant, toujours jovial et un tantinet blagueur.

Mais le grand intérêt pour le chercheur ou l’historien est la mention pour chacun des individus de sa profession. Naturellement le métier de cultivateur remporte la palme un peu partout sur toute l’étendue de la commune du Val-d’Ajol, sauf à Faymont, au Dandirand, à Outremont et Hamanxard où les ouvriers l’emportent à une très large majorité du fait de la proximité des usines et des « casernes » ou cités ouvrières.

Mais souvent, y compris dans les fermes ainsi que dans les cités ouvrières de cette période, si les chefs de famille sont dits cultivateurs ou ouvriers, de nombreuses femmes sont dites brodeuses. 

Il existe par ailleurs, du moins au centre du village, de nombreuses couturières ou modistes, le plus souvent célibataires.

Enfin, ces recensements donnent une idée de l’abondance des artisans notamment des forgerons, sabotiers, menuisiers et charpentiers. Chaque section avait son maréchal-ferrant. Mais le chiffre le plus étonnant est sans doute le nombre de bistrots, auberges, cabarets, cafés ou débitants. Il en existe sur la commune en 1906 plus d’une centaine. Là encore chaque section avait son café qui faisait parfois un peu d’épicerie. Enfin si chaque section peu s’enorgueillir d’avoir son café en 1900, chaque entrée d’usine avait obligatoirement le sien.

Une telle abondance n’est pas exceptionnelle.  Des statistiques nationales font la démonstration que la norme était d’un café pour 80 habitants.

Au Champ de Fougerolles qui ne comptait qu’une dizaine de fermes, il y eut autrefois 4 bistrots. Une telle abondance se justifie pourtant par le nombre de paysans des « Hauts » qui devaient couper les foins dans la « Plaine », à la faux. Et de juin à septembre, il fait chaud ce qui assèche

les larynx les plus sobres.  En ce temps-là, chaque cultivateur de Croslières, du Prémourey, de Beaumont, de la Croisette ou de la Chaume avait au moins une parcelle de prairie dans la vallée où l’herbe était plus abondante et plus grasse.

L’un des bistrots du Champ n’était d’ailleurs que saisonnier. Il ne présentait en effet aucun intérêt l’hiver.  

L’étude des recensements permet aussi de se faire une idée de l’immigration.  Si les étrangers sont peu nombreux jusque 1850, leur nombre croit rapidement dans la seconde moitié du 19e. En effet, les grands chantiers comme la construction des voies ferrées ou de routes, l’aménagement des canaux de navigation, la construction de nombreux forts après la défaite de 1871 sont un appel d’air irréversible. D’autre part, le développement de l’industrie dans la vallée mobilise de nombreux entrepreneurs tels les Vaubourg et Lentsch qui seront des précurseurs avec leurs ouvriers italiens, suisses et parfois autrichiens.  La présence de cette population d’ouvriers souvent coupés de leur famille fait parfois la une des journaux de l’époque.  La consommation d’alcool est en effet la cause de nombreuses bagarres chaque fin de semaine, lorsque les ouvriers percevaient leu salaire.

En 1874, le maire qui s’inquiète de cette évolution des mœurs fait voter l’installation d’une gendarmerie au Val-d’Ajol au motif que le commun compte désormais plus de 2.000 ouvriers avec un fort pourcentage d’étrangers.  Enfin en 1881, le conseil municipal décide de supprimer les traditionnels affouages vu qu’une population de plus en plus importante a quitté la campagne pour mener une vie plus urbaine.