Un texte mystérieux qui parle de la Croisette

Paru à la une du journal le Mémorial des Vosges du 1/8/1895.

 Sous la rubrique : La Plume au Vent. 

Scène d’anthropophagie  – une bande de mohicans échappés on ne sait trop comment des Prairies du Nouveau Monde serait venue s’établir à la Croisette du Val-d’Ajol. Personne ne l’a vue mais on a tout lieu de croire que les Peaux Rouges se cachent de jour dans les hautes herbes de l’étang des Prêtres pour ne prendre l’air que la nuit quand tout sommeille aux alentours.

Longtemps ces indigènes seraient restés ignorés si un fait d’une sauvagerie bien en rapport avec leurs mœurs n’avait mis en éveil la gendarmerie et les pouvoirs publics.

D’après les quelques renseignements qui nous sont parvenus, cette bande, divisée en deux parties nullement fières, procéda dimanche dernier, à l’élection d’un cacique, pour remplacer le président jugé trop vieux et incapable de gérer les affaires de tous.

Les uns voulaient un cacique autoritaire, les autres un cacique libéral.

De désespoir on en vint aux actes, et après un prélude à coups de tomahawks, un corps à corps général s’engagea tout proche de l’Hôtel Enfoncé.

Dans la lutte, l’un des Peaux Rouges, qu’avait suivi de près un partisan du parti libéral, d’un coup de dent trancha l’annulaire de la main droite de son adversaire jusqu’à la deuxième phalange et l’avala.

Cette bataille avait attiré l’attention des habitants de l’endroit, dont l’arrivée seule mis en fuite la bande de sauvages, non sans avoir fait prisonnier le Mohican carnassier.

Les gendarmes sont intervenus et, depuis dimanche, le coupable est en observation jour et nuit ; on attend impatiemment, pour terminer l’enquête, qu’il veille bien rendre le corps du délit.                                                                                                            Signé : Visage-Pâle –

P. S. – au dernier moment j’apprends que la justice est en possession des documents nécessaires pour mener promptement cette grave affaire.

à priori cette histoire comique doit être en rapport avec les élections cantonales du 28 juillet 1895 remportées sur le canton de Plombières par l’industriel de Méreille Édouard George appartenant à la famille des Républicains contre Zeller un libéral. Enfin Zeller est aussi le maire de Ruaux et le directeur du plus gros employeur du canton, l’usine De Pruines. Si le site de la Croisette avec l’Hôtel Enfoncé a été pris comme cible de ce pamphlet comique c’est que ce versant du Val-d’Ajol fait justement face au versant des Granges et de Ruaux. La lecture des journaux de l’époque montre la guerre-guerre que se livrent sans cesse les différents partis politiques rapport aux lois qui sont en préparation et qui conduiront à la séparation de l’État et de l’Église.

Explications :

– par « Président jugé trop vieux » il faut comprendre la démission du conseiller général Eugène Remy, patron de la grande scierie au centre du village, qui avait choisi de suivre les conseils de son médecin. Il était en effet très abattu car en tant que maire du Val-d’Ajol il avait eu à répondre devant la justice des importants détournements effectués durant 10 ans par son secrétaire en chef qui tenait également les comptes et le guichet de la Caisse d’Épargne. Cette trahison l’avait mis KO. Il sera d’ailleurs terrassé quelques années plus tard par un malaise mortel et la scierie disparaîtra à son tour, ses enfants encore trop jeunes ne pouvant assurer la relève.